ZANSKAR AU COEUR DE L'HIVER... Extrait du livre de Jacques et David Ducoin tir ....... C'est au cours de l'été précédent que nous avons organisé cette expédition et fait prévenir Tashi que nous nous étions décidés à venir en hiver par le fleuve gelé. Par courrier et par l'intermédiaire d'amis, nous lui avons donné une date pour nous retrouver cinq mois plus tard et lui avons fait stocker du riz, des lentilles, de la farine et du sucre de façon à ne pas démunir les familles chez qui nous serions hébergés. En hiver, et pendant neuf mois, il est impossible d'être ravitaillé au Zanskar. Tous les villages vivent en autarcie pendant cette longue période de froid et d'isolement. La rivière Zanskar se couvre de glace et offre ainsi un étroit et dangereux passage vers le Ladakh. Chaque pas qui s'y hasarde se retrouve ainsi suspendu au destin d'un fleuve grondant sur lequel la glace ne demande qu'à céder. A huit heures ce matin du 2 janvier, nous attendons, dans une petite rue de Leh le camion qui doit nous emmener à une trentaine de kilomètres, là où le fleuve Zanskar se jette dans l'Indus. Après 4 heures d'attente alors qu'il fait moins 21, le camion arrive enfin. Nos cinq compagnons prennent place dans la benne, affrontant le vent glacial. Le paysage défile jusqu'à ce qu'une avalanche bloque la piste ! C'est dans ce magnifique décor de glace que commence notre aventure : une semaine à pied dans la froidure de ces gorges avant d'atteindre les villages du Zanskar... Nous nous retrouvons à marcher sur le fleuve gelé qui nous mène jusqu'à la vallée isolée et mystérieuse du Zanskar. Nos premiers pas vers l'inconnu sont incertains, hésitants. Il faut s'habituer à évoluer sur la glace et nos amis et guides nous montrent l'exemple, sans un mot, mais avec le sourire. Très vite on apprend à glisser au lieu de marcher, et l'appréhension d'être sur un frêle ruban de glace s'évapore peu à peu. L'eau s'arrête de couler mais continue à vivre. Elle se fige. La glace vivante se dilate, se rétracte, craque ou crie; elle a trop froid, elle a trop chaud, elle pleure et ses gouttes se figent à nouveau. Depuis des années les Zanskarpas l'observent, l'écoutent gémir quand le soleil la brûle, ou quand le vent glacé la saisit. Ils vibrent avec elle au rythme de leurs pas anxieux ou joyeux. Ils l'aiment, la connaissent, la sonde, l'interrogent. Imm lot IMM Pourront-ils atteindre la grotte ce soir? Faire un feu ? Boire un thé et se raconter une histoire ? De tout cela, le ciel décidera. C'est làhaut qu'on regarde. C'est lui qui nous guide et notre vie en dépend. Trop de nuages qui forment un couvercle et voici la chaleur qui reste coincée dans les gorges.En une heure, la plaque de glace sur laquelle nous glissions paisiblement au rythme de nos pensées, fond et se dérobe sous nos pieds. Nos regards se font anxieux. "Sopo" nous dit Tashi, un mot suffit "c'est mauvais". Que dire de plus dans cette immensité blanche où le silence nous enseigne plus qu'un cours de faculté. Le silence est riche. On apprend à se taire et à l'écouter. Il n'est troublé que par le bruit de nos pas sur la glace, qui rythment l'univers dans lequel nous nous aventurons, Le vent siffle. Au milieu du fleuve, l'eau se fait tumultueuse. Les pans de montagne qui nous entourent se resserrent et le soleil disparaît. Nous devons longer la paroi rocheuse avec quelques passages étroits où il ne faut surtout pas glisser et en priant pour que ce chemin de glace accroché à la roche, ne cède pas sous notre poids. Parfois, aucun passage n'est possible sans escalader les pentes à pic ou glissantes de la montagne. Ces escalades nous paraissent encore plus dangereuses que la progression sur la glace et demandent une attention soutenue. Un faux pas serait sans retour, Impatients de parvenir à un abri, nous demandons à Tashi où est la grotte de ce soir, il nous dit en souriant "Chè pa" (mots français bien pratiques qu'il connaît et qui répondent à beaucoup de nos questions). Si la grotte que nous pensions occuper est déjà prise par d'autres aventuriers des glaces, nous devrons poursuivre notre chemin pour en trouver une autre. Nous sommes infiniment petits et vulnérables aux pieds de ces cathédrales de roche. Et pourtant nos esprits vibrent de bonheur, bonheur bien fragile certes, car tout peut se rompre d'une seconde à l'autre et basculer dans le néant, Sommes-nous à la recherche de l'absolu pour ainsi braver les éléments . ?" * Tchadar : signifie fleuve gelé dans la langue du pays.